A l’image de sa gestuelle, la vieille dame n’a pas vraiment l’habitude du repos. Membre de plusieurs organisations (Greenpeace, Alsace Nature, Espoir, Confédération paysanne), Germaine Schell s’investit partout où elle le peut, avec pour seule limite la chute. « Si je tombe je suis alitée, c’est pour ça que je m’agrippe à ma petite voiture », s’amuse-t-elle. « Il faut soutenir ces causes, ces associations vont sur le bon chemin, elles ne sont pas axées sur le grand capital. Elles font du bien au peuple. Il faut le réveiller le peuple, il faut réagir ! ». Celle « qui entretient notre moral à tous », selon les mots d’un zadiste, ne s’arrêtera pas devant l’obstacle des camions qui sont entrés dans la ZAD. « Je me battrai jusqu’à ma mort, je me donnerai tout le mal possible ».
Augustin Campos
Plus des deux tiers des boutiques de la marque anglaise fermeront leurs portes en France d’ici 2021. Dans le magasin de Strasbourg, cette annonce a pris ses salariés de court.
« Je suis vraiment déçue. Je commençais à me faire une place ici, je pensais que tout allait bien se passer comme je le prévoyais. Mais voilà que tout est chamboulé ». Leny fera probablement partie des 250 salariés français de l’enseigne anglaise New Look qui seront licenciés dans les prochains mois, voire les prochaines semaines. Une source syndicale, citée par l’AFP, a officialisé la décision mercredi 12 septembre. Cela représente plus des deux tiers des effectifs de la marque dans l’Hexagone. Au total, 21 magasins sur 29 fermeront leurs portes d’ici 2021.
Une décision qui ne passe pas
« Ici, l’équipe est sympathique, les conditions de travail me conviennent parfaitement et j’ai commencé à fidéliser pas mal de clients », regrette Leny. En CDI à temps partiel (25 heures par semaine) dans le magasin New Look de Strasbourg, situé place des Halles, elle espère toujours un ultime retournement de situation. « Même si on a été prévenus, le rythme de travail est toujours le même », nous confie-t-elle, débordée par les paquets de chaussettes qu’elle dépose dans un chariot. Le magasin continue d’accueillir des arrivages et de proposer des soldes. Mais pas d’opérations de déstockage qui pourraient laisser croire une fermeture imminente.
Hormis les magasins de Rouen et Calais, le management de New Look n’a pas encore précisé exactement les boutiques qui seront concernées par cette décision, ni les huit qui seront épargnées. « La boutique de Strasbourg sera sûrement fermée aussi. Pas immédiatement, mais dans environ un an », affirme Margaux, d’un ton assez décontracté. En CDI depuis six mois, elle semble moins affectée par la décision de fermeture que Leny. En plus de son emploi dans le magasin, elle travaille à son propre compte dans le domaine de l’illustration, sa principale source de revenu. « Je suis relativement nouvelle ici, donc l’impact de cette décision pour moi ne sera pas le même que pour d’autres.» Les plus anciens du magasin sont ici depuis près de deux ans.
Pas si surprenant que ça...
La décision du groupe New Look de limiter la présence de ses magasins en France est loin d’être une surprise pour certains salariés de Strasbourg, comme peut en témoigner une ancienne employée qui préfère rester anonyme. Elle avait quitté son poste il y plusieurs semaines pour des raisons personnelles. « Je savais depuis un bon bout temps que l’entreprise allait mal. Je sentais que la fin approchait. J’assistais à des réunions dans le siège à Paris et depuis un an et demi, j’avais remarqué que le bureau se vidaient au fur et à mesure, et qu’il y avait de moins en moins de personnel », affirme-t-elle.
« Un ami à moi qui est à la boutique de Calais savait lui aussi que ça allait mal, mais il ne s’attendait pas à ce que cela arrive si rapidement et surtout pas dans ces conditions », poursuit-elle. Pour l'ex-salariée, le plus grave, c’est le « manque de communication » entre la direction et les employés. « C’est la loi du silence. Ils ne sont pas francs. Je trouve ça vraiment dommage », conclue-t-elle.
Louay Kerdouss
C’était dans les années 1990, après la mort de son mari, un ancien proche du Front Populaire. « J’ai commencé à lire les journaux, je n’avais pas le temps avant, avec mes quatre enfants, je devais m’occuper de tout », se souvient cette ancienne commerçante, qui tenait une boutique de vêtements avec son mari. Avant, elle n’avait jamais touché à un journal.
Fille de fermiers, elle « aurait aimé faire des études, mais il a fallu partir travailler ». Alors, elle a rattrapé le temps perdu une fois à la retraite. A coup d’abonnements au Canard enchaîné – qui était déjà la bible de son mari -, au Monde diplomatique, à Politis, ou Alternatives économiques, dispersés un peu partout dans le salon. « La lecture me donne un aperçu de tout, je me suis instruite, sur ce qu’il se passait, sur ce que l’on pouvait faire, comment on pouvait se défendre », confie l’octogénaire, en agitant ses bras, jusque là croisés devant elle.
Nicolas Grellier et Clémentine Rigot
Quelques mois après le décès de Simone Veil, le droit à l'avortement est-il véritablement acquis ?
En France, les polémiques liées à l’interruption volontaire de grossesse se suivent. Mercredi, Marlène Schiappa, la ministre de l’Egalité entre les femmes et les hommes, annonçait que les Interruptions volontaires de grossesses (IVG) reprendraient à la fin du mois, à Bailleul, cet hôpital sarthois qui, faute de moyen, ne proposait plus l’intervention médicale. La veille, pourtant, une déclaration dans l’émission Quotidien avait attisée la brûlante question de l’IVG : « Nous ne sommes pas là pour retirer des vies ». La flèche est décochée par Bertrand de Rochambeau, le président du Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France (Syngof). Il n’en fallait pas plus pour rouvrir un sujet qui embrase un pays où l’IVG est, pourtant, autorisé depuis 1975.
Jeudi, deux jours après la salve, il régnait comme une atmosphère de gueule de bois au planning familial de Strasbourg. « C’est comme un retour de manivelle. On s’est tellement bagarrées pour que ces lois existent, pour que chaque femme ait le droit d’avorter en France », abonde Isabelle Mehl, conseillère au planning familial de la capitale alsacienne depuis près de 20 ans.
Mais qu’en dit la loi ? Bertrand Rochambeau le sait, rien n’oblige un médecin à pratiquer une IVG. En vertu de la double clause de conscience mentionnée à l’article R4127-18 du Code de la Santé publique, un médecin est en droit de refuser l’intervention. À condition de renvoyer sa patiente vers un autre praticien. Un vide juridique pas vraiment au goût d’Isabelle Mehl : « C’est normal, à condition que ça ne fasse pas perdre de temps à la personne. Dans certaines régions, on peut attendre trois ou quatre semaines pour un rendez-vous. Si vous êtes déjà enceinte de six semaines, cela peut engendrer des hésitations. Le temps de réfléchir, vous pouvez dépasser le délai. » En France, l’avortement est impossible après 12 semaines de grossesse ou 14 semaines d’aménorrhée, loin des 24 semaines néerlandaises.
Selon le ministère du travail, 211 900 interruptions volontaires de grossesse ont été réalisées en 2016 dans l’Hexagone. Pas toujours dans la ville d’origine de la patiente. « Il faut savoir qu’à cause des délais, des Parisiennes viennent se faire avorter à Strasbourg », illustre la conseillère du planning.
Des situations disparates en Europe
Dans d’autres contrées européennes, les kilomètres ne sont pas la seule entrave pour réaliser un avortement dans la légalité. En Pologne, l’avortement n’est permis qu’en cas de viol, d’inceste, de danger pour la vie de la mère ou de malformation du foetus. Cette dernière possibilité pourrait être la cible d’un projet de loi déposé, depuis mars dernier, devant le Parlement, qui viserait à supprimer ce cas de figure.
Dans les îles méditerranéennes, le climat est plus favorable pour les touristes que pour les femmes qui désirent recourir à l’IVG. À Chypre, on ne pourra y recourir qu’en cas de viol, d’inceste ou de mise en danger de la vie de la femme ou du foetus. À Malte, l’équation est simple : l’avortement est interdit sous peine de trois ans de prison à l’égard du praticien et de sa patiente. Hors Union européenne, le schéma est similaire au Vatican et à Andorre.
A 89 ans, cette habitante de Kolbsheim a été de tous les combats sur la ZAD du Moulin, épicentre de l'opposition au Grand Contournement Ouest.
Dans son imposante demeure à l’abri des grands arbres qu’elle affectionne tant, bordée par un beau portail en bois tout juste vernis, Germaine Schell n’a pas grand-chose d’une zadiste. Ou de l’image que l’on veut en donner. Un foulard noir tacheté de blancs autour du cou, le blazer parfaitement ajusté, cette octogénaire détonne, au sein de l’opposition au projet de Grand contournement Ouest (GCO) de Strasbourg. Depuis lundi 10 septembre, jour de l’évacuation de la ZAD de Kolbsheim, elle est de tous les rassemblements organisés par les zadistes. Jamais bien loin de la zone sécurisée par des dizaines de gendarmes où, déjà, le déboisement a commencé.
« Je ne peux pas voir cette souffrance, et les gens qui pleurent, les gens tiennent aux arbres, car les arbres, ça donne de la vie. Vous avez vu quand ils ont scié ces arbres, comme elles ont souffert ces plantes ? », s’émeut la vieille dame, habitante de Kolbsheim depuis 30 ans. « C’était des arbres centenaires, même parfois encore plus. J’y passais dans cette forêt, j’allais m’y promener avec mes petits enfants et mon chariot ». Son chariot, c’est son déambulateur.
Celui qui l’accompagne dans toutes les protestations, qu’elle ne manque jamais. Pas même à 5 heures du matin. « La pasteur du village a fait sonner les cloches l’autre jour (lundi, NDLR), comme à chaque rassemblement. Je me suis levée, il a fallu faire vite, mais doucement quand même pour ne pas me faire mal, et rejoindre le rassemblement au centre du village. Et ensuite on est descendu vers la ZAD », raconte-t-elle, sans trop se souvenir de quel jour il s’agissait. La maladie d’Horton, détectée en 2010, affecte sa mémoire et son élocution.
Sa détermination, elle, est intacte. Les nombreuses photos qui circulent sur les réseaux sociaux la montrant un mégaphone en main, face au mur des forces de l’ordre, en attestent. Sa mémoire l’a trahie, là aussi. Germaine Schell n’a, par contre, pas oublié les violences dont elle a été victime lors de l’évacuation : « Nous sommes arrivés au front, nous ne voulions pas que les camions passent, mais les gendarmes n’ont même pas attendu, ils nous ont tout de suite attaqués et gazés. J’ai reçu des coups de pieds dans les genoux, c’était terrible, j’avais mal », raconte-t-elle, assise devant une horloge à pendule en bois vernis.