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Après l'interruption du chantier décretée par le Ministère de l'environnement, entre novembre 2010 et novembre 2011, l'entreprise a du mettre en place des programmes de responsabilité sociale pour pouvoir reprendre la construction. Outre la mise en place de systèmes de proptection de l'environnement, Lavasa a créé une école primaire et élémentaire gratuite pour les enfants des villageois, même si tous ne la fréquentent pas. « Oui, certains enfants bénéficient de cette éducation, et c'est une très bonne chose », admet Babu Walhekar. 

Entre deux passages de camions chargés de gravats, un camion-citerne s'arrête au village. « Lavasa nous fournit de l'eau dans ce réservoir en plastique tous les 4 à 5 jours. Il contient 10.000 litres, mais c'est trop peu pour tout le village », déplore Babu Walhekar. Handicapés par le manque d'eau, les habitants peinent à survivre. « Nous avons tous candidaté pour travailler à Lavasa, à un moment ou à un autre, ces neuf dernières années. Ils préfèrent travailler avec des gens venus d'ailleurs. » Sur les quelque 2500 ouvriers du chantier, la majorité est étrangère au Maharashtra, confirme le préposé aux embauches.

Thumabai Walhekar est un flot ininterrompu de vindicte en maharati : «  Ça a commencé il y a 8 ans. Un jour, on est venu travailler aux champs, et il y avait des bulldozers dedans. » L'action des uns enclenche la réaction des autres, dans ce qui est devenu une guerre d'usure. Et tous les moyens sont bons, selon elle, pour faire plier les villageois: « Ces derniers mois, ils balançaient les eaux usées dans les sources des villages, et les gens tombaient malades», raconte-t-elle. Elle précise que la répression se serait arrêtée deux semaines avant notre arrivée.

Kajal Margale a 11 ans et toise les étrangers avec un regard qui n'a rien d'enfantin. Elle est la fille de Leelabai Margale, devenue chef de file du mouvement de résistance à Lavasa depuis que la compagnie a fait passer, il y a 7 ans, une route au milieu de son champ. Elle se dit désormais la cible privilégiée des employés de Lavasa. Ses filles aussi, raconte Kajal : « Ils visent les personnes âgées, analphabètes, pour leur acheter leurs terres. Parfois, ils attendent que les enfants soient seuls pour les menacer verbalement. » 

Le patriarche de Mugaon, Babu Walhekar, 65 ans, est un vieil homme dépité. Depuis le début des travaux, juste en face du village à la végétation égrotante, la vie n'est plus la même. Lavasa et ses machines ont presque tari l'unique source du hameau, et la sécheresse s'est installée dans la vallée, raconte-t-il en montrant du doigt l'ancienne source du village. Pourtant, il ne bougera pas. « Ceux de Dasve se sont fait avoir, et ils vivent dans des conditions pathétiques. Nous sommes trop entêtés pour vendre ce terrain, peu importe le prix. » Quinze jours plus tôt, Lavasa, dit-il, leur a proposé 400 000 roupies (6000 euros) pour leurs 160 hectares de terrain. Une somme faramineuse pour ces modestes agriculteurs, qui parviennent tout juste à vivre de leur production.

 

Au bord du lac, des immeubles chatoyants apparaissent. Inspirée du hameau italien de Portofino, Dasve a tous les atours d'une ville lacustre à l'européenne. Si la première des cinq futures villes de Lavasa est presque livrée, les quatre autres n'existent encore que dans la réalité virtuelle du DVD promotionnel. Le chantier a pris du retard, pour une simple raison : dans les vallées voisines, les habitants indigènes refusent de vendre leurs terres à la compagnie.

Quatre kilomètres à l'est de Dasve. Mugaon, hameau de 25 maisons, rassemble les propriétaires de plusieurs centaines d'hectares de terrains agricoles, à l'endroit où Lavasa a prévu de faire pousser une autre ville, qu'elle nommera également Mugaon. En face du village, une carrière se dresse, et des tonnes de pierres sont charriées quotidiennement. Le gros oeuvre a débuté malgré la réticence des villageois, échaudés par l'expérience de leurs ex-voisins de Dasve. Et ce hameau du bout du monde est devenu un repaire d'activistes.

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Au milieu des montagnes du Maharashtra, un rêve de promoteur émerge lentement. Un mirage pour élites : Lavasa City, la première ville indienne entièrement privée. 200 000 habitants prévus pour 2025, un mode de vie labellisé à l'occidentale, une université, un parcours de golf et des centaines de villas posées là, au beau milieu d'une jungle inscrite au patrimoine de l'Unesco. Le chantier s'étire sur des kilomètres autour des lacs artificiels créés pour l'occasion, mobilisant des milliers d'ouvriers. 

Hindouisme

Extraits des Vedas :

« A l'intérieur des Eaux – ainsi me l'a confié Soma– reposent tous les baumes curateurs, et Agni, celui qui bénit tout. Tous les remèdes sont dans les Eaux. O Eaux, associez-vous à la médecine pour garder mon corps en bonne santé, afin que longtemps encore, je puisse voir le Soleil. Ma conduite aura peut-être été, parfois, dilettante et injustement rebelle. Parfois, je n'aurai pas dit toute la vérité ; et peut-être aurai-je usé d'un langage grossier. Je sais que cette attitude est pécheresse. Dieu ! Laisse cette eau évacuer ces péchés de mon être. Les Eaux sont tombées en ce jour, et nous priâmes ainsi pour leur humidité : O Agni laiteuse, viens, et couvre-moi de ta splendeur. »

« L'eau de pluie est divine et vaste ; c'est l'eau qui repose. S'il ne priait pas, l'eau divine descendrait sur le monde avec furie. Il dit « O toi l'eau divine, vaste et reposante » En priant, il la repose de ce monde ; car c'est seulement une fois reposée qu'elle peut s'en approcher. »

 

Huit livraisons passaient quotidiennement à la trappe: de l'eau non distribuée dans les zones demandeuses, et de l'argent systématiquement « perdu on ne sait où »

« Société polluée » 

« La démocratie indienne nage dans l'hypocrisie, commente le politologue Ajit S. Abhyankar, membre du CPI (Communist Party of India). Et le jeu politique est très éloigné de la réalité de la société. » Membre du parti d'opposition, le BJP, le député Girish Bapat ironise sur cette situation : « Notre société est comme l'eau polluée, il suffit d'en boire un verre pour être contaminé à son tour ». Mais la faute, pour lui, en revient au NCP et aux électeurs « immobiles », qui ont pourtant le droit depuis 2005, grâce la loi sur l'accès à l'information, de consulter les documents de l'administration publique sur simple demande. Lorsque Girish Bapar était, lui, au pouvoir dans le Maharashtra, entre 1995 et 1999, son parti avait, assure-t-il, mis en place « un système d'irrigation bien plus adapté », à base d'abris pour conserver l'eau et de plus petits barrages. 

La réflexion fait sourire Suresh Dhas qui, lui, fait partie de la majorité. Député NCP dans une zone du Maharashtra fortement touchée par la sécheresse, il confie sans sourciller que s'il voulait « vraiment faire en sorte que tout le monde, y compris les populations rurales, ait un accès à l'eau, il faudrait que je change radicalement de politique. Et si je faisais ça, je perdrais les élections. Je préfère donc m’adapter au fonctionnement populiste de notre démocratie. » 

Comment s’étonner dès lors qu’à la veille des élections législatives fédérales de 2014, la population continue de se méfier des déclarations officielles ? Selon Parth Biswas, journaliste environnemental au Loksatta, du groupe de presse The Indian Express, les Indiens sont trop « habitués » à souffrir de la sécheresse pour en faire un thème de campagne : « La saison de la mousson aura passé, et on continuera comme d'habitude. » 

Lara Charmeil

La faute à pas de chance. Ou plutôt à la nature. Pour Suresh Gehule, le président du district de Pune, « s'il n'y a plus d'eau dans les barrages à cause des moussons trop faibles, que peut faire le gouvernement ? » Membre du National congress party (NCP), parti au pouvoir dans une coalition avec l'Indian National Congress (INC), Suresh Gehule prévient que « l'an prochain, lors des élections, je dirai que le gouvernement a fait du bon travail, que nous avons augmenté la capacité des réservoirs, créé plus de petits canaux, de barrages, et donné de l'emploi aux paysans démunis ». La critique récurrente selon laquelle il y aurait trop d'eau pour les industries, pas assez pour les citoyens ? Une « thèse conspirationniste » selon lui. 

Caméra cachée

Pour Vijay Paranjpe, économiste environnemental et fondateur de l'ONG Gomukh, la sécheresse actuelle est pourtant le résultat de quatre décennies de politique incohérente, et d'une non-application des lois d'irrigation. Il avance comme preuve de ces  « aberrations » que dans l'Etat du Maharashtra, qui compte le plus grand nombre de barrages de toutes les régions de l'Inde, 60% des eaux sont utilisées à des fins industrielles, et notamment dans la canne à sucre, qui n'occupe pourtant que 3% des terres à irriguer. «L'élite politique contrôle tout, du sucre au système de camions-citernes en passant par la mélasse, s'insurge Vijay Paranjpe. Et je ne vois pas pourquoi le système global changerait puisque la moitié des entreprises appartient aux politiques du NCP, l'autre à ceux du BJP (Bharatiya Janata Party, le parti de l'opposition).» 

Viyaj Paranjpe n'est pas le seul à tempêter contre le comportement des politiques. L'ONG de Vivek Velankar, Alert Citizens Forum, a elle aussi voulu le dénoncer en installant une caméra cachée devant le bâtiment de la PMC (Pune Municipal Corporation). Là où les camions-citernes s'enregistrent et viennent se recharger en eau publique pour la livrer aux frais du contribuable.

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