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18h15. Les cinq amis quittent le salon. Le bruit des tondeuses et des sèche-cheveux reprend. Changement d'ambiance. Une poignée de personnes passe en coup de vent saluer le gérant des lieux. Un homme âgé franchit le seuil. Il porte la moustache et un jogging bleu marine. Il s’approche de Chadi Hadri, lui dit quelques mots en arabe, puis repart aussi sec. "C’est mon père, explique-t-il. Il passe tous les jours nous voir." Peu après, un enfant passe sa tête par la porte : "Je viens juste dire Salem !" "Mohammed, tu nous as dit ‘Salem’ 200 fois aujourd’hui", lui répond gentiment Chadi Hadri, sourire toujours vissé aux lèvres.
Un lieu de passage majeur dans le quartier
Dans un coin de la pièce, adossé au bac à shampooing cassé et couvert de poussière, Imad, habitant du quartier, observe. "Je suis déjà venu me faire coiffer ce matin, je viens ici juste pour discuter, explique l’étudiant en BTS électrotechnique. Dans le quartier, c’est le lieu où ça bouge le plus." Marouane et Yanis ont tourné les sièges dos au miroir pour que leurs clients puissent participer aux discussions. Nassim improvise des pas de danse en chantant sur El Gemano de Genezio.
Pendant que Nasser et Amine se font coiffer, Enzo, Hamza et Ahmed s’installent sur le canapé en similicuir qui fait face aux postes de coiffure. Ils font des allers-retours vers l’extérieur pour téléphoner ou vapoter. Adossés au mur en fausse pierre grise, Enzo et Hamza sirotent leur canette d’Ice Tea framboise. L’enceinte crache des morceaux de rap français et les voix se font plus fortes pour couvrir les basses. Barbers et visiteurs parlent du prochain concert de SDM, du spectacle de Redouane Bougheraba, échangent leurs avis sur des influenceuses…
Des idées, les citoyens en ont. Certains prônent le covoiturage, facilité par l’application Karos, qui a été mise en place par l’Eurométropole. Elle compte chaque matin en moyenne 40 covoitureurs réguliers traversant le quartier. Au centre socioculturel, c’est le vélo qu’on encourage, avec l’organisation l’été dernier d’ateliers pour apprendre à pédaler aux femmes vivant dans les quartiers prioritaires. Le tram est régulièrement évoqué, et ce depuis longtemps, pour faire reculer l’utilisation de la voiture. L’ambition a toujours été freinée par les experts de la collectivité pour des raisons techniques, notamment l’étroitesse de la route. Cependant, la mairie est actuellement engagée sur des travaux de tramway pour désengorger d’autres grands axes, à l’instar de la route des Romains où la Ville espère passer de 15 000 véhicules par jour à moins de 10 000. "Il faut certainement être à un niveau d’ambitions comparables sur la route de Schirmeck, mais sans le tram", admet François Desrues. Preuve, pour François Portal qui se fait l’écho des habitants, qu’il s'agit principalement d’un manque de volonté politique.
Diarouga Balde et Zoé Fraslin
Il s’agit pourtant d’une revendication de longue date. "Les enseignants sont tout à fait d’accord et le demandent depuis quelques années et rien n’est fait, déplore Clarys. On pensait avoir du poids en tant que parents, mais on n'est pas pris au sérieux."
Quelques minutes plus tard, la porte du salon s’ouvre sur cinq jeunes hommes habillés en noir de la tête aux pieds. Serrage de main franc avec tous les clients, accolade amicale avec les trois barbers. "Tu vois, une Clio 2 arrive et y’a que des parasites", blague Chadi Hadri. Le groupe vient se faire couper les cheveux pour la baby-shower organisée par le cousin de l’un d’entre eux, Nasser. Pour la bande, se rendre chez HDR Barber est un moment de partage : "On vient toujours avec des potes, c’est très rare que je vienne tout seul", confie Amine. Ils vivent tous au Port-du-Rhin et font le trajet pour Yanis, l’un des alternants, mais aussi pour "la musique et la bonne ambiance" qui règne dans le salon.
Embarquez avec Paul au milieu du trafic de la route de Schirmeck. © Paul Marcille
Pourtant, réduire le flux de voitures sur cet axe est un enjeu majeur pour les habitants. Consultable sur la place d’Ostwald, un livret de 80 propositions visant à améliorer le quartier cite la route de Schirmeck en tête des priorités en matière de sécurisation des déplacements. Officieusement, cette feuille de route est un moyen de remettre le quartier à l’agenda de la mairie. La Montagne-Verte est la grande oubliée des politiques publiques selon ses habitants. Mais le directeur de territoire, François Desrues, reconnaît que "ce n’est pas forcément dans ce mandat qu’il y aura des transformations en profondeur de la route".