God Save the Bill

Le Royaume-Uni a quitté le marché européen de l’électricité au début de l’année 2021. Cette sortie complique les échanges et augmente la facture des Britanniques, déjà soumis à une économie en pleine récession. Les négociations pour développer de nouvelles coopérations peinent à aboutir.

Par Camille Aguilé

Dans son appartement du quartier de Vauxhall, à l’ouest de Londres, Joe Davis a vu sa facture d’énergie doubler en un an. À 27 ans, ce doctorant en physique des particules vit avec son colocataire, dans un duplex étriqué de 35m² où il faut raser le mur pour se croiser dans le couloir.

« Entre novembre et décembre 2021, on était à 110 livres sterling (128 €) avec le chauffage central et le radiateur de ma chambre allumés. On avait une maison chauffée, je pouvais ne porter qu’un T-shirt à l’intérieur. Cette année, on est à 180 livres sterling (209 €), mais avec les aides du gouvernement, la facture revient à 113 livres sterling (131 €). Mais c’est sans allumer les radiateurs et en diminuant la température de lavage de la machine à laver », s’indigne-t-il.

Une situation loin d’être exceptionnelle au Royaume-Uni. La facture annuelle d’énergie des Britanniques a augmenté de 1 000 livres sterling, soit 1 160 € en moyenne entre 2021 et 2022. Comme ailleurs en Europe, cette hausse est largement due à l’explosion des prix du gaz après l’éclatement du conflit entre la Russie et l’Ukraine.

Mais un autre facteur alourdit aussi de plusieurs « pounds » le montant payé par Joe Davis pour sa consommation d’électricité : le Brexit. Après le référendum favorable à la sortie de l’Union européenne (UE), le Royaume-Uni a quitté le marché européen de l’électricité le 1er janvier 2021.

Cette sortie aurait coûté environ 500 millions de livres sterling (575 millions d’euros) par an aux consommateurs britanniques, selon une étude du cabinet de conseil Baringa. À l’échelle d’un ménage britannique, cette somme équivaut à 10 à 20 livres sterling (11 à 23 €) supplémentaires sur la facture annuelle.

« Cela représente un petit coût pour les consommateurs, mais en période de récession comme aujourd’hui, il n’y a pas de petites économies », commente Adam Berman, directeur d’Energy UK, association professionnelle de l’industrie de l’énergie au Royaume-Uni. Les Britanniques sont en effet pris en étau entre l’inflation des produits alimentaires et la stagnation des salaires depuis une quinzaine d’années.

Barrières aux échanges

Ils paient le prix des nouvelles barrières réglementaires imposées aux acteurs sur le marché européen de l’électricité depuis la sortie du Royaume-Uni en 2021. Producteurs, transporteurs et distributeurs d’électricité sont en effet confrontés à des obstacles aux échanges.

En tant que pays-membre, le Royaume-Uni bénéficiait d’une plateforme d'enchères européenne. Il suffisait aux producteurs et distributeurs d’électricité britanniques de faire une offre de vente ou d’achat sur la bourse pour enclencher les échanges.

« En quittant l’Union européenne, nos marchés de l’électricité ont été découplés. On est passé d’échanges automatisés et efficaces à des échanges qui demandent davantage de travail administratif », détaille Paige Truelove, chargée des politiques publiques pour Energy UK.

Le pays est désormais considéré comme un État externe à l’Union européenne. Les participants au marché accèdent donc plus difficilement à l’électricité des pays-membres. Sans la plateforme, les enchères se font à coup d’appels et de mails pour acheter l’électricité et nécessitent un travail réglementaire lourd et chronophage. Ce fonctionnement est moins fluide, plus vulnérable aux fluctuations des prix sur le marché, et moins efficace en cas de demande urgente d’électricité.

Energy UK représente les intérêts de fournisseurs et de producteurs d’électricité. L’association agit auprès du gouvernement britannique pour l’inciter à signer de nouveaux accords sur l’énergie avec l’Union européenne. © Camille Aguilé

La crainte de coupures en 2023

Pour le moment, il n’existe aucun accord de solidarité énergétique entre l’UE et le Royaume-Uni pour remédier à cette situation. En surface, pas de quoi s’inquiéter puisque l’Union européenne ne fournit que 5 à 10% d’électricité au Royaume-Uni, et 4 à 12% de sa consommation de gaz.

Si cette contribution est relativement faible, la coopération reste cruciale pour éviter les coupures d’électricité. Energy UK s’en préoccupe particulièrement pour l’hiver 2023. À cette période, les cuves européennes n’auront plus une goutte de gaz russe à fournir aux Britanniques en cas de besoin urgent.

« Nous encourageons le gouvernement à maintenir un dialogue avec l’Union européenne sur ces questions. Il faut garder à l’esprit qu’en matière de sécurité d’approvisionnement énergétique, le manque de communication a des conséquences », signale Adam Berman.

Des négociations au point mort

Le gouvernement britannique est conscient de cette difficulté. Depuis décembre 2020, il tente de négocier avec l’UE un accord de coopération commerciale dans différents domaines d’intérêts mutuels. Le texte évoque notamment l’importance d’échanges d’électricité efficaces.

Le problème : ces négociations sont dans l’impasse. « La date limite pour mettre en place les nouvelles dispositions d’échanges était fixée au 1er avril 2022. Elle n’a pas été respectée, et il n’y a pas eu le moindre progrès », regrette Paige Truelove.

La manœuvre est retardée par la récente instabilité politique de l’exécutif. Boris Johnson, Liz Truss puis Rishi Sunak… ce bal des Premiers ministres depuis l’été 2022 n’a pas facilité le travail de négociation. D’autant plus que la Commission européenne a posé une condition claire. Il n’y aura pas d’avancée sur la coopération énergétique tant que les tensions liées au protocole entre la République d’Irlande et la province britannique d’Irlande du Nord ne seront pas apaisées.

Défavorable aux contrôles douaniers imposés par ce protocole, le gouvernement britannique souhaitait le remplacer par un autre texte. Une démarche catégoriquement rejetée par Bruxelles.

En attendant le déblocage des discussions, les Britanniques doivent malgré tout régler leur facture d’énergie au prix exponentiel. En signe de contestation, Joe Davis a opté pour une solution radicale. Il s’est joint aux 200 000 membres du mouvement Don’t Pay UK et a arrêté de payer ses factures mensuelles. L’objectif : faire pression pour un retour à des prix de l’énergie accessibles à tous.


Des aides pour passer l’hiver

Le gouvernement britannique a mis en place plusieurs mesures pour pallier l’augmentation des dépenses d’énergie des ménages cet hiver. Le prix de vente de l’électricité est plafonné à 34 pence (40 centimes d’euros) par kilowattheure (kWh) jusqu’en mars 2023. Une réduction de 400 livres sterling (463 €) par an est aussi allouée jusqu’à fin mars pour tous les ménages disposant d'un raccordement électrique domestique au Royaume-Uni.

Sans ces dispositifs d’aide, la facture des Britanniques aurait triplé au lieu de doubler. Leur avenir reste incertain et soumis aux décisions du gouvernement, au risque d’importants revirements. La première ministre Liz Truss avait annoncé que la mesure de plafonnement à 34 pence le kWh durerait jusqu’en octobre 2024. Mais Rishi Sunak, qui lui a rapidement succédé, a ensuite revu la mesure en augmentant le prix par kW/h et en réduisant la durée du plafonnement à avril 2024.